Le Rez-de-chausseur, c’est quoi ?

La qualité de vie d’un quartier se mesure à l’aune de la vitalité de ses pieds d’immeubles. Mais cette dernière semble aujourd’hui en danger. Dans les grandes agglomérations, les supérettes prolifèrent et avec elle, une forme de standardisation du paysage urbain. À l’inverse, dans les opérations neuves, pied d’immeuble rime trop souvent avec parpaings. Dans les villes moyennes comme dans les quartiers prioritaires, enfin, plane le spectre de la vacance. La ville contemporaine serait-elle un géant aux pieds d’argile ?

Pourtant, les initiatives pour animer les rez-de-chaussée ne manquent pas, alors que les institutions commencent, elles aussi, à prendre la mesure du sujet. Elles dessinent, chacune à leur manière, une problématique globale : celle du rez-de-chaussée comme « bien commun » urbain. 

En 2017, le Sens de la Ville lance le Rez-de-chausseur, saison 1 : une démarche de R&D visant à dresser un état des lieux des initiatives existantes, identifier d’éventuels dispositifs manquants et esquisser des partenariats pour une saison 2 qui sera, elle, une phase d’expérimentation. Elle est également un appel à destination des habitants, opérateurs, collectivités, structures d’aménagement ou investisseurs privés, invités à s’emparer d’un sujet plus que jamais d’actualité pour des villes à échelle humaine (J. Gehl).

Démarche en open source, le Rez-de-chausseur se raconte dans ce blog d’actualité, qui propose également des “portraits” de rez-de-chaussée remarquables.

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Du nouveau visage des rez-de-chaussée en période de coronavirus

 

Si les premières semaines du confinement ont vu l’immense majorité des commerces baisser le rideau, dans les rues de la capitale, certains d’entre eux ont aujourd’hui rouvert tout en modifiant leurs activités pour mieux s’adapter aux contraintes de la période, répondre à des besoins nouveaux, inhérents à la crise sanitaire, et bien sûr permettre une poursuite d’activité. À priori frappé de plein fouet par la crise, le rez-de-chaussée démontre ici sa capacité à être un lieu propice à la réinvention. Un nouveau paysage se dessine à hauteur de piéton, fait de bidouille, de mutualisations et d’inventivité. S’il est trop tôt pour affirmer que ces micro-aménagements annoncent une tendance durable, ils mettent déjà en évidence les vertus du rez-de-chaussée comme espace malléable… voire outil de résilience ? Petit tour d’horizon, forcément très subjectif puisque cantonné au périmètre proche des lieux de vie de l’équipe du Sens de la Ville dans l’est parisien.

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Le Späti, l’indispensable berlinois

Nos missions et nos réflexions sur les rez-de-chaussée nous emmènent de plus en plus vers la question du service aux usagers. Les projets de conciergeries qui voient le jour dans les métropoles s’imaginent dans les quartiers neufs en sont le reflet. À Berlin, un type de commerce profondément ancré dans la culture locale constitue un maillage fin de  « points » de services de proximité. Ni tout à fait supermarchés, ni tout à fait conciergeries, les « späti » sont tout cela à la fois ! Ada, notre stagiaire venue de Berlin pour intégrer notre équipe le temps d’un stage, nous raconte son enquête dans ces rez-de-chaussée familiers. On vous emmène !

Nous nous concentrons sur l’une des activités les plus typiques du rez-de-chaussée berlinois. Ce n’est pas un kebab ou un magasin de saucisses au curry, mais le « Spätkauf », qui signifie « achat tardif ». Couramment abrégé en « Späti », c’est une sorte de combiné entre l’alimentation générale classique parisienne, souvent qualifiée « d’arabe du coin », et le bureau de tabac. Certain ayant même une activité supplémentaire qui varie selon les propriétaires : vente de carte téléphonique, retrait d’argent, machine à café, coin ordinateur ou encore coin poste. Tout cela avec un vendeur sympa, toujours prêt à discuter un peu et une fourchette horaire très large. Ce concept de magasin est unique à Berlin et dans quelques villes d’Allemagne de l’est. Il est profondément ancré dans la « Kiezkultur », la culture d’un quartier Berlinois : le week-end les soirées y commence pour se fournir en bières fraîches, en semaine on y achète des cigarettes et une barre de chocolat pendant la pause de midi, et si on manque de papier toilette, le Späti est également la solution. On estime qu’il y en a environ 1000 à Berlin.

Notre enquête nous amène sur la Kantstraße à Charlottenburg, un axe reliant l’Ouest avec son vieux centre-ville, le Jardin Zoologique. Un Charlottenburger situerait ici le cœur de son quartier, en tout cas en ce qui concerne la gastronomie. Il y a beaucoup de restaurants asiatiques, de magasins de meubles, de Spätis et de boutiques dont on se demande comment ils tiennent encore le coup. Certains d’entre eux ont dû céder, ils ont été remplacés par d’autres restaurants asiatiques et encore plus de Spätis. Notre enquête nous a emmené à échanger avec six d’entre eux.

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Ce Spätkauf propose du tabac, des produits alimentaires, des boissons alcoolisées et non-alcoolisées, des cartes téléphoniques, de la glace, du café à emporter, des articles ménagers, la location de vélo et un point de colis. (Photo : Ada Partsch)

 

Il est 10 heures du matin, nous entrons dans le Spätkauf, près du Savignyplatz. Il est encore tôt pour un magasin d’« achats tardifs ». La femme, qui est en train d’ouvrir son local veut bien me renseigner. L’aspirateur qu’elle vient de passer est toujours au milieu du magasin. Son mari, me dit-elle, tenait un commerce d’électricité, dans les mêmes locaux, qui ne fonctionnait plus très bien. Ils ont donc changé leur fusil d’épaule. Elle travaille jusqu’en fin d’après-midi, son mari prend le relai jusqu’à une heure du matin, le magasin marche bien. Ils réalisent la plus grande marge sur les aliments et les boissons. Les cigarettes ne rapporteraient pas beaucoup, mais un fumeur achète généralement quelque chose en plus. En dehors de la sélection classique de cigarettes, de boissons et de besoins quotidiens, ils ont eu l’idée de louer des vélos. Mais ils devront bientôt y renoncer, car l’intérêt des vélos a fortement diminué depuis l’arrivée des vélos à libre disposition. Ils s’adaptent. Son mari est un bon homme d’affaires, me confie-t-elle, il sait s’adapter au marché et surtout parler aux clients. Il a une petite discussion avec tout le monde : il parle plus de quatre langues. D’après elle une bonne relation avec le client est la chose la plus importante.

 

 

Son magasin est aménagé d’une façon typique : un mur de rayons frigo avec des boissons, baigné de lumière blanche. Les cigarettes sont placées sur des étagères derrière le comptoir, les barres de chocolat et les bonbons devant. Il y a un coin, généralement légèrement caché, avec des brosses à dents, des tampons et du papier toilette. Tout est très fonctionnel, voire un peu froid, les étagères blanches en acier réglables donne un aspect industriel. Un peu de décoration personnelle donne des informations sur le pays d’origine des propriétaires ou la saison actuelle. L’extérieur reste aussi très pratique : les articles proposés sont listés sur la vitrine, afin que chacun sache ce qu’il y a à l’intérieur et un panneau éclairé indique si le magasin est ouvert ou non. Le nom du magasin est affiché en grandes lettres, même si au quotidien il n’est pas souvent employé. On y réfère plutôt avec le « Späti de ce coin ci » ou avec le nom du vendeur. Parfois une spécialisation du Späti comme son coin ordinateur est spécifiée dans le nom.

D’autres Spätis propose des bancs devant leurs locaux pour s’y attarder. Officiellement, aucune boisson alcoolisée ne peut y être consommée. Pour cela, le magasin aurait besoin de toilettes. La réalité est souvent bien différente. Certains soi-disant ” Party-Späti ” se sont spécialisés dans ce domaine et sont décrits sur les blogs étrangers comme une ” véritable expérience berlinoise “. Vous pouvez y demander des chansons et commencer la soirée de manière décontractée et bon marché comme le Berlinois l’aime.

Le vendeur du prochain Späti sur ma liste, lorsque je l’aperçois revient du coin ordinateur à l’arrière du magasin, où il a aidé une femme âgée à envoyer un mail. Il travaille dans ce magasin de nuit depuis 3 ans, me dit-il et connaît bien ses clients. Il a environ 25 ans, est probablement d’origine turque et accueille sa prochaine cliente avec les mots « Comme toujours ? » en lui tendant sa marque de cigarettes. En plus des produits typiques, il y vend aussi des cartes téléphoniques et des billets de Flixbus. La vente de billets était son idée, mais a été influencé par les demandes de ses clients. Cela semble être le cas pour la plupart des offres et services spéciaux : entre l’esprit entrepreneurial du propriétaire et les demandes de clients, l’assortiment ainsi que les services offerts sont adaptés.

Avec l’achat en ligne, de plus en plus de Spätis proposent des points de colis comme service complémentaire. Contrairement à la poste, vous pouvez y récupérer votre colis jusque tard dans la nuit. Une amie me parle de “son” Späti, auquel elle laisse souvent sa clé et qui accepte aussi des tâches comme nourrir les chats ou arroser les fleurs.

Je débute par le thème de la loi sur l’ouverture des magasins avec le vendeur. A ce sujet, il faut mentionner qu’en Allemagne les heures d’ouverture sont très strictes, le dimanche est généralement considéré comme un jour de repos. Pendant longtemps, les Spätis agissaient dans une zone judicaire grise. Jusqu’en été 2019, où la cours a précisé qu’il devait également s’y conformer. Le changement fut très difficile, me dit le vendeur, car le dimanche était le jour où le chiffre d’affaires était le plus élevé. Beaucoup de Spätis ouvrent malgré la loi et risquent ainsi une amende.

La raison pour laquelle les Spätis de Berlin et de l’Allemagne de l’Est ont eu ce privilège peut s’expliquer en regardant l’histoire. Le concept de magasins nocturne a vu le jour en RDA. Là, les travailleurs qui arrivaient tard des usines devaient avoir la possibilité de faire des achats. Depuis la réunification, le système s’est également étendu à Berlin-Ouest. La marchandise n’est plus déterminée par l’État et le propriétaire est devenu principalement d’origine turque ou asiatique. Cependant, les horaires d’ouverture n’ont pas changé. Il reste à voir si la culture de Spätis survivra avec la nouvelle réglementation. C’est probable car profondément ancré dans la mentalité berlinoise.

Des concepts similaires existent dans d’autres régions d’Allemagne, mais là, il s’agit plutôt de petits cabines appelés kiosques. Certains ont été rebaptisées en “Späti” pour donner un air berlinois. Ce concept à succès pourrait-il également être établi en France ? Difficilement : il manque la permission de vendre le bestseller : les cigarettes. Sinon, le concept rappelle beaucoup à « l’arabe du coin », un type de magasin en danger de disparition à Paris. Peut-être un concept d’une épicerie du coin bien ancré dans son quartier avec plus de services adaptés à sa clientèle pourrait résister aux « Monop’ » et aux « Auchan City » de la ville d’aujourd’hui ? Les conciergeries qui s’établissent dans les grandes villes et particulièrement les quartiers neufs tentent aujourd’hui de reproduire ce que la convivialité d’un commerçant de proximité apporte de manière spontanée. La recette du succès selon nos interlocuteurs : bon emplacement, un bon choix de produits, une bonne relation avec le client et une large plage horaire d’ouverture.

Berlin : des rez-de-chaussée vacants pour la jeunesse

Le rez-de-chausseur consacre une série aux usages de RDC à Berlin. Ada, une Berlinoise native, a mené l’enquête sur un dispositif d’appropriation de rez-de-chaussée vacants par des jeunes. Cet enjeu de conception “citoyenne” des rez-de-chaussée de la ville nous taraude au Sens de la Ville et cette expérience berlinoise nous inspire !

L’enquête nous a emmené à se pencher sur deux enjeux : l’envie des jeunes d’avoir à disposition un lieu qui leur est propre d’une part et les RDC vacants d’autre part. Cette enquête présente un projet qui a réussi à les combiner. La première édition se nomme « Ladenhüter », traduit littéralement en « veilleur de boutique », utilisé dans le sens d’un objet qui ne se vend pas, présent depuis tellement longtemps qu’il veillerait sur le magasin. Dans le contexte de notre enquête un jeune ayant devient un « veilleur de magasin » dans un rez-de-chaussée vacant. Trois ans après la mise en place de ce projet le nom de « Junge Pächter », traduit en « jeunes locataires », est venu remplacer « Ladenhüter ».

Le projet a été initié en 2011 par la Schlesische 27, une maison sociale et culturelle à Berlin après l’expression des souhaits d’un groupe de jeunes lors d’une conférence sur la jeunesse et la culture. Neuf locaux ont été alors trouvés par la Schlesische 27 et occupés par des groupes de jeunes entre 15 et 25 ans pour deux fois trois ans.

Pour avoir des informations nous avons appelé Ben, un architecte, ayant participé plus jeune au projet « Junge Pächter » : Il s’était engagé dans un des sous-projets nommé « Space shuffle », un local de RDC vacant à Neukölln, quartier de Berlin. Leur idée était de créer un espace de création et d’exposition d’installation artistiques.

SPCSFL 2.0
Exposition SPCSFL 2.0 (Photo : Benjamin Menzel)

Le local se trouvait au rez-de-chaussée, accessible par une cour intérieure, dans une rue latérale du centre de Neukölln. Lors de la remise des clés, le lieu était en mauvais état. Pour l’inauguration les invités étaient donc conviés à blanchir les murs comme nouveau départ pour de futures expositions.

Inwhitetion
Inauguration “Inwhitetion” (Photo : Benjamin Menzel)

Dans cet espace libre non aménagé, avec 130 € par mois mis à disposition par la Schlesische 27 pour de l’achat de matériel, plusieurs idées étaient possibles. La seule contrainte était de développer des projets, quels qu’ils soient et de les documenter. Mais peu importe cette contrainte, le sentiment de participer à un projet prestigieux suffisait à les animer. Un tuteur, membre de l’opéra Neukölln, ainsi qu’un interlocuteur de l’institution Schlesische 27 passait de temps en temps et offraient leur aide, pour des problèmes techniques et de montage. Les jeunes expérimentaient différents matériaux et lumières pour créer des installations interactives. A côté de leurs propres productions, d’autres artistes étaient invités à exposer leurs œuvres. D’une exposition à l’autre, le Space Shuffle devenait un vrai lieu de rencontre pour de jeunes artistes et amateurs. Lors des évènements ils proposaient des boissons à participation libre, car toute vente officielle était interdite.

Arbeitsraum, Atelier
L’atelier (Photo : Benjamin Menzel)

Le groupe du « Space Shuffle » était constitué d’environ 6 jeunes, qui changeaient fréquemment de composition. Ils étaient à l’école ou venaient de la finir et s’engageaient au Space Shuffle pendant leur temps libre. Selon Ben la gouvernance entre eux était le plus grand enjeu et ce qui l’a enrichi le plus.

A la fin des trois ans de projet subventionné le groupe de jeune à eu l’option de reprendre le local, mais cette fois si avec un loyer. Ils ont décliné faute de moyens. Ben précise que ce n’a été jamais le but de devenir économiquement autonome.

Dans les huit autres locaux de ce projet répartis sur Berlin, les autres groupes ont dédié leur local à des ateliers de théâtres ou de sérigraphie, à la réparation de vélo ou des salles de répétitions. Le « Heim(e)lich » à Köpenick, une salle de concert d’atmosphère, confortable « chez soi » comme le nom en fait allusion, est le seul local de tous les sous-projets à s’être pérennisé grâce à une coopération avec un théâtre local. Le loyer est offert par le propriétaire des locaux, un bailleur social et les charges sont prisent par le bureau d’aide sociale à la jeunesse. Une vraie structure s’est créée autour de ce projet de jeunes.

Même si le projet « Space shuffle » s’est arrêté, Ben le considère comme un succès. En regardant en arrière, il souligne le bon apprentissage d’organisation d’un lieu culturel avec tous les défis associés comme obtenir des subventions, calculer le budget, l’organisation d’expositions et d’évènements et surtout de réussir à s’organiser en groupe. Selon lui la recette du succès est de donner de l’espace aux jeunes sans pression financière, sans concepts imposés ni restreintes de concepts, et ils réussiront à se débrouiller.

En termes d’occupation de RDC ce projet n’a pas cherché principalement à animer la rue, mais à utiliser ce capital pour donner de l’espace, sans contrainte financière et un faible niveau d’entrée, à des jeunes pleins d’idées et ayant envie de créer leur propre aventure.

Chroniques des mutations des rez-de-chaussée lisboètes, un blog qui décortique la gentrification commerciale de la capitale portugaise… à lire !

À Saint-Étienne, où la question de l’activation des rez-de-chaussée est très présente, et où l’on découvre des programmations parfois surprenantes…

Tournus, un virage porté par les habitants.

A Tournus, printemps 2017, un air nouveau souffle sur la ville : un nouveau maire issu d’un mouvement citoyen vient d’être élu. Cette ville de 6 000 habitants abritant quelques 120 commerces de proximité a bien failli voir émerger un centre commercial de 20 000m2 en entrée de ville, à proximité de l’autoroute du soleil… Mais c’était sans compter sur la mobilisation citoyenne de ses habitants pour sauver le centre-ville, mais aussi les équipements de proximité comme la salle des fêtes et le cinéma.

De la pétition, à la formation d’un collectif puis d’une liste municipale, jusqu’au déploiement de ses actions, retour sur le tournant politique de cette ville moyenne entre pression commerciale et solidarité locale, où la politique est devenue une affaire collective. Un podcast sur les limites du pouvoir du maire, une réflexion sur la démocratie locale et participative et sa portée, disponible en ligne ici !

 

 

De la boutique éphémère au Viaduc des Arts : la Fabrique Nomade se sédentarise !

Situé dans le 12ème arrondissement de Paris, l’ancien “Viaduc Daumesnil” restauré par Patrick Berger entre 1990 et 2000 pour devenir le “Viaduc des arts”, se compose aujourd’hui de 62 locaux sous voûte accueillant des créateurs et des artisans d’art. Depuis juillet 2018, la Fabrique Nomade s’y est installée. Ce sont sous ces voûtes, que nous sommes allés à la rencontre de cette association, lors du vernissage de sa troisième collection. Par la suite nous nous sommes entretenus avec Ghaïta Tauche-Luthi, responsable communication. Retour sur cette rencontre.

Une effervescence règne sous le Viaduc des Arts en ce mardi 11 décembre pour le vernissage de Traits d’Union 3, la troisième collection de la Fabrique Nomade. Fondatrice de l’association qui existe depuis 2016, Inès Mesmar rappelle la genèse du projet: en discutant un jour avec sa mère, elle découvre que celle-ci a été brodeuse à Tunis avant d’immigrer en France. Pour Inès, la raison d’être de la Fabrique Nomade s’éclaire, c’est de “lever les freins qui empêchentles artisans migrants et réfugiés d’exercer leur vrai métier” (barrière de la langue, démarches administratives, absence de réseau, difficultés à s’adapter au marché local…) en accompagnant leur insertion professionnelle en France. Recrutés par bouche à oreille ou via des réunions d’informations auprès des structures d’hébergement, les artisans sont accompagnés pendant 6 mois par des designers bénévoles. L’objectif est d’arriver, au bout d’une saison, à réaliser des objets pour les collections vendues par la Fabrique Nomade dans sa boutique du Viaduc des Arts.

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photo : le Sens de la Ville, “Sonia et Sacha, nos deux explorateurs pour le Rez-de-Chausseur”

Après le discours d’Inès, les artisans présentent leur parcours et leur métier, en binôme avec le designer qui les a accompagnés : Sana est ébéniste, Wadie vannier, Fadhila couturière, Jeannette réalise des imprimés textiles sur des bijoux en cuivre, Fayun est céramiste.Originaire d’Afghanistan, Burhan est lissier (fabricant de tapis) et pour qu’il puisse exercer son activité, la Fabrique a pu emprunter un métier à tisser à l’École Nationale des Arts Décoratifs. Responsable de la communication de la Fabrique Nomade, Ghaïta Tauche-Luthi ajoute :“certains ont vraiment des compétences de niche ; là, on peut jouer un rôle pour trouver des ressources et des contrats”.

Pour faire tourner la Fabrique, Inès Mesmar et Ghaïta Tauche-Luthi sont deux à travailler à temps plein, accompagnées depuis peu par une conseillère en insertion professionnelle. Plusieurs services civiques renforcent l’équipe, ce qui implique tout de même de “jongler avec la complexité de la transmission de postes, ce qui n’est pas facile”, confie Ghaïta, “tous les 7-8 mois, une nouvelle “saison” s’enclenche avec de nouveaux artisans, de nouveaux designers et une nouvelle équipe”. Pour chaque collection, des professionnels participent aussi au projet : directrice artistique, photographes, scénographes, designers…L’occasion de ce vernissage a aussi été l’occasion de s’interroger sur l’histoire itinérante de cette association. En effet, pour la première fois depuis sa création, toutes les activités de l’association sont regroupées au sein d’un même lieu.

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Photo : Le Parisien, “Paris : la Fabrique Nomade ouvre ses portes aux artisans réfugiés”, 30 Septembre 2018

Nichés dans cet interstice serpentant la ville entre Bastille et Porte Dorée, ces rez-de-chaussée sur-mesure dédiés à l’artisanat et à la création participent à l’animation de l’avenue permise par la transparence des vitrines et offrent un vrai spectacle aux piétons. Ici, le rez-de-chaussée s’ouvre ainsi sur un showroom, la boutique et espaces d’animation d’ateliers alors que le sous-sol accueille les ateliers des artisans et la mezzanine héberge les bureaux.

Mais avant d’en arriver là, la Fabrique Nomade a fait plusieurs escales. Celle-ci a d’abord fonctionné de manière éclatée entre le makerspace Ici Montreuil et l’espace de coworking La Ruche. Puis, grâce à la mairie de Paris et au GIE Paris Commerces[1], l’association a emménagé dans le local d’une ancienne banque du 19e arrondissement mis à la disposition de façon temporaire, sous la forme d’une convention de mise à disposition. C’est donc dans le quartier Danube-Solidarité (19ème), que la Fabrique Nomade s’est installée dans un second temps, entre les Buttes Chaumont et la Porte de Pantin. Les anciens guichets se sont ainsi transformés en bureaux, les cours de langue y ont également trouvé leur place, et le coffre-fort s’est métamorphosé en atelier de menuiserie. Malgré sa vitrine sur rue et ses ateliers gratuit, la Fabrique Nomade n’a pas pu créer une vraie relation de quartier, restant assez excentrée, et ne captant pas un flux de public suffisant.

En juillet, La Fabrique Nomade s’installe au Viaduc des Arts, dans un espace de 300m2. La ville de Paris en est propriétaire et concède la gestion ainsi que la commercialisation du Viaduc à la SEMAEST, dans le cadre d’un bail emphytéotique. Cette installation est une belle fenêtre d’opportunités pour favoriser l’insertion professionnelle des artisans, l’animation d’ateliers de pratique artisanale et les ventes d’objets de la collection.

A l’avenir, l’association souhaite “augmenter un peu le nombre de résidents, de faire une vraie certification “La Fabrique Nomade” qui soit reconnue, pour que les artisans, une fois qu’ils sortent, aient comme un diplôme, pour qu’ils aient accès à ce type de reconnaissance” ! Tout un programme pour la Fabrique Nomade en devenir !

 


[1]Structure regroupant les trois bailleurs sociaux de la ville de Paris, Paris Habitat, RIVP et Elogie SIEMP

Au Royaume-Uni, “coup de froid sur les commerces” en centre-ville

Au Royaume-Uni, la vacance commerciale touche la plupart des villes secondaires du pays. Cette véritable crise des commerces en centre-ville s’explique entre autres par la concurrence d’Internet – le commerce électronique représente 15% des ventes totales au Royaume-Uni, contre 10% en Allemagne et 8% en France-,  les retombées de la crise financière de 2008 ou encore l’augmentation des impôts sur les fonds de commerce, augmentation destinée à renflouer les budgets municipaux.

Un article du Monde (réservé aux abonnés) analyse le cas de la ville d’Aldershot, à quarante-cinq minutes en train de Londres.

Décroissance urbaine et initiatives citoyennes en rez-de-chaussée

A Saint-Etienne, en analysant un projet de redynamisation de rez-de-chaussée vacants par l’association locale Rues du Développement Durable, les chercheuses Christelle Morel Journel et Valérie Sala Pala questionnent le concept de « droit à la ville » dans un contexte de décroissance urbaine. A lire, ici.

” Les acteurs impliqués dans les expérimentations en cours (…) rencontrés à Saint-Étienne soulignent ainsi les opportunités qu’offre le contexte de décroissance pour le déploiement de leurs initiatives : la disponibilité de nombreux espaces et leur facilité d’accès économique pour des activités associatives ou artistiques ; un relatif brassage social, ethnique et culturel ; l’attention des pouvoirs publics, limités dans leurs moyens d’agir par la faiblesse des ressources fiscales, et le soutien d’acteurs privés engagés depuis longtemps dans le renouvellement urbain ; l’existence d’interstices faisant l’objet d’un faible contrôle et donc susceptibles d’être investis comme un « terrain de jeu ». Ils évoquent enfin l’« authenticité » et l’« état d’esprit » d’une ville postindustrielle échappant en partie à leurs yeux à la normalisation marchande et accordent une haute valeur symbolique aux traces urbaines héritées de l’histoire ouvrière (Rautenberg et Védrine 2017).” 

 

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